Rétrospective. Nouvelles des archives
29/04/2024
Notre-Dame de Consolation
de Beaugency à Rome : un voyage à travers les documents.
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Dès que l'on franchit le seuil du Généralat, la statue de Notre-Dame de Consolation accueille les visiteurs (fig. 1). Cette sculpture, modelée en plâtre et provenant du monastère des Ursulines de Beaugency, France, est porteuse d'une histoire de près de quatre siècles.
La tradition du culte de Notre Dame de Consolation remonte à l'apparition de la Vierge Marie à Sainte Monique, à qui elle remit une ceinture de cuir en disant : "qu'elle considérera comme ses enfants les plus chers ceux qui se montreront ornés de ce signe très saint". C'est précisément dans cette circonstance qu'est née l'appellation " Notre Dame de Consolation ".
Mais comment cette dévotion les Ursulines en sont venues à pratiquer cette dévotion.
La tradition a ses racines dans l'Ordre Augustinien, où elle est très ancienne et basée sur diverses interventions célestes ;[1] Saint Ambroise d'abord, et Saint Augustin ensuite, portaient la ceinture de cuir, semblable à celle que la Vierge avait donnée à Sainte Monique. Lorsque la "Compagnie de Sainte-Ursule" est devenue un ordre monastique au XVIIe siècle, les Ursulines, en adoptant la Règle de Saint-Augustin, ont embrassé tous les privilèges associés à l'ordre augustinien, y compris le culte de Notre-Dame de Consolation. C'est à cette époque que l'on constate, au sein des monastères, le nouvel élan de deux dévotions : la dévotion aux Saints Anges et la dévotion mariale. La dévotion à la Sainte Vierge est solidement ancrée dans les différents monastères d'Ursulines et s'exprime souvent sous des formes identiques.
Mais regardons l'origine de la dévotion mariale à Beaugency, berceau de notre sculpture.
Les Annales de Beaugency [2] nous apprennent que «la statue de N.D. de Consolation fut élevée à la gloire de Marie à l'occasion de tous les stratagèmes dont se servait l'enfer pour anéantir notre saint Ordre dès sa naissance».[3]
Quelle est l'histoire du monastère de Beaugency ? Passons rapidement en revue quelques faits marquants :
- Le 29 août 1629, un petit groupe d'Ursulines arrive d'Orléans avec pour mission de fonder un monastère dont la future chapelle, selon l'acte d'obédience, sera dédiée à Notre-Dame des Anges.
- En 1647, les anciens locaux dans lesquels vivait la communauté étant devenus insuffisants et menaçant de s'effondrer, Mère Anne Tardif de Sainte Madeleine,[4] fondatrice du couvent puis Prieure, décide avec son Conseil de construire un vrai couvent.
- La première pierre est posée le 24 avril 1647 : « Les dévotes filles de saint Augustin et de sainte Ursule ont pris, dans une élection particulière, Jésus Christ pour Fondateur »,[5] la construction s'achève vingt ans plus tard, en 1667, comme le rappelle la plaque sur laquelle sont gravées ces dates.
C'est dans ce bâtiment que se trouve la statue de Notre-Dame de Consolation. Les Annales la mentionnent pour la première fois à l'époque de la Révolution, alors que sa dévotion était déjà très implantée. En 1792, les sœurs ont été expulsées de leur couvent. Les révolutionnaires voulaient enlever et détruire la statue, mais elle était si lourde qu'ils ne purent la déplacer et ils y renoncèrent. Plus tard, Sœur François de Léry de Sainte Euphrasie vint se confier à la Vierge Marie avec ses sœurs et demanda l'aide d'un employé du couvent pour emporter la statue. Le brave homme l'emporta facilement lui-même et la plaça en lieu sûr.[6] Les Annales ne disent pas quel était ce lieu sûr et secret.
Pendant une trentaine d'années, les sœurs connaissent diverses vicissitudes : expulsion, dispersion, emprisonnement pour certaines, refuge chez des familles, elles sont alors hébergées de façon précaire dans le "petit couvent" exigu et délabré jusqu'au jour où, après de nombreuses et complexes procédures, l'évêque les autorise à regagner le "grand couvent", le 2 mai 1824. « Nous étions si contentes que le jour même ce fut fait ! [...] et on replaça la Sainte Vierge à la même place qu'elle occupait trente-sept ans auparavant».[7]
Dès lors, la statue devient l'objet d'une vénération croissante, qui s'étend au-delà des limites de la ville.
Le 13 juillet 1834, Monseigneur de Beauregard, évêque d'Orléans, est reçu par la communauté : « Il alla visiter la statue miraculeuse. Il fit l'éloge de la sculpture, mais blâma grandement de l’avoir fait peindre, trouvant que cela lui avait durci les traits ». Puis il prononça les mots : « Je vous salue Marie, avec une foi si vive que toutes ses filles spirituelles en furent pénétrées ».[8]
Le 15 juin 1851, à la demande du chapelain, la statue de Notre-Dame de Consolation est enrichie de 40 jours d'indulgence pour chaque Ave Maria récité devant elle.[9]
Les Annales mentionnent plusieurs miracles survenus par l'intercession de Notre-Dame de Consolation :
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2. Urszula Ledóchowska, huile et acrylique sur toile, 1984, Rome, Généralat des Ursulines de l'Union Romaine. - À l'automne 1896, une épidémie de scarlatine frappe Beaugency. Elles craignent la contagion au sein du pensionnat et, pour la conjurer, elles se rendent en procession à Notre-Dame de Consolation avec la promesse de renouveler ce geste tous les trois ans si elles échappent à la contagion. De fait, les Ursulines et leurs élèves furent épargnées.[11]
- En février 1897, Mère St Casimir, prieure, tombe gravement malade. Une neuvaine à Notre-Dame de Consolation a permis sa guérison.[12]
- En juillet 1897, une jeune Ursuline de Cracovie, Sœur Urszula Ledóchowska[13] (fig. 2), venue à Beaugency pour perfectionner son français, décore avec son talent artistique le petit autel de Notre-Dame de Consolation (fig. 3-5).[14]
- En septembre 1897, la rentrée scolaire n'est pas de bon augure : une neuvaine à Notre-Dame de Consolation est commencée pour obtenir des inscriptions.[15]
- Les Ursulines de Beaugency étaient en relation amicale avec les Bénédictines de la rue Monsieur, à Paris. Le 8 décembre 1898, la supérieure de ces Bénédictines, pour lesquelles des prières ont été adressées à Notre-Dame de Consolation, envoie « une magnifique couronne en métal et une aussi pour l'Enfant Jésus ».[16] Le soir même, au chant d'un cantique, la couronne est mise en place et la neuvaine poursuivie, mais la religieuse ne se rétablit pas et meurt le 30 décembre.
Les années passent et, en 1904, la Communauté de Beaugency entre dans l'Union Romaine. L'affiliation a été officiellement approuvée le 25 janvier 1904.[17] Le 7 juillet de la même année, le Parlement français vote la loi contre les congrégations vouées à l'enseignement, le 11 la loi devient officielle. Le 13 juillet, les Ursulines de Beaugency reçoivent l'ordre de fermer la maison et de vider les lieux pour le 1er octobre : les meubles et objets divers sont mis en vente. La situation devient de plus en plus grave et l'on craint que de nouveaux épisodes scandaleux n'affectent la statue tant vénérée. « Notre bonne Mère Prieure (Mère Angela) crut prudent de se séparer aussi de Notre-Dame de Consolation. Au jour fixé, la Communauté entière se rendit processionnellement à son autel, lui renouveler son acte de Consécration et lui demander de la bénir. Bien des larmes coulèrent : elle nous était chère à bien des titres ! Le 6 juillet la statue était mise au chemin de fer et arriva à Rome le 9. La Révérende Mère Générale [Mère Marie de Saint-Julien Aubry] était heureuse de lui donner l’hospitalité. Elle est placée au Noviciat [monastère de Villa Maria à Rome, fig. 6] ».[18] La sculpture a ensuite suivi les mouvements du gouvernement général, d'abord au Généralat de Via Nomentana 34 à Rome, puis, avec la construction de la nouvelle Maison générale de Via Nomentana 236, également à Rome (1932), où elle a trouvé son emplacement définitif au pied du grand escalier à l'entrée de l'édifice.
6. AGUUR Ga2, Maison Généralice, Villa Maria, Notre-Dame de Consolation, 1904 post. | 7. Notre-Dame de Consolation, plâtre, 1954, Beaugency, monastère des Ursulines, moulage d'après l'original de 1647. |
A Beaugency, l'histoire se poursuit avec de nouvelles dispersions pour les sœurs contraintes à l'exil en Belgique ; les Ursulines de Beaugency ont pu rentrer chez elles en 1920 et se sont progressivement rétablies. L'année 1953-54 est proclamée année mariale par l'Église à l'occasion du centenaire de la définition du dogme de l'Immaculée Conception. Au cours de l’année, un moulage de la statue de Notre-Dame de Consolation est réalisé par l'atelier Francesco Rosa à Rome, à destination de Beaugency où elle arrive au début du mois de décembre 1954 : «Nous avons eu la joie d’aller réciter le Chapelet devant N.D. de Consolation arrivée juste à temps pour la clôture de l'année mariale».[19] La statue occupe l'espace qui était resté vide pendant 50 ans (fig. 7).
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8,9,10. Notre-Dame de Consolation, plâtre, 1647, Rome, Généralat des Ursulines de l'Union Romaine, en cours de restauration. |
La fête de Notre-Dame de Consolation est célébrée le 4 septembre et, chaque année, les Ursulines renouvellent leur consécration à la Vierge Marie.
En mars-avril 2024, le Généralat a promu la restauration de la sculpture de Notre-Dame de Consolation. L'opération délicate a été réalisée par une restauratrice experte, le Dr Matilde Migliorini, qui a redonné à la statue sa splendeur d'antan (fig. 8-10). La sculpture avait été entièrement recouverte d'une couche homogène de peinture gris ivoire. Cette couche particulièrement épaisse modifiait nettement le modelé en aplatissant les détails du visage, de la chevelure et du drapé de la Vierge. À travers quelques interstices de cette couche, il a été possible de reconnaître une coloration gris-vert sous-jacente, qui a pu être interprétée comme une patine d'origine (fig. 11), probablement destinée à simuler le calcaire, comme c'était souvent le cas pour les sculptures en plâtre. Matilde est intervenue sur la statue en effectuant un nettoyage progressif et homogène, puis a enduit les interstices, en les assortissant de tons à l'aquarelle, et a intégré les parties manquantes de la croix, tenue par l'Enfant dans sa main droite, redonnant ainsi à la statue une bonne visibilité.
Par Emanuela Lauro, Ph.D, Archiviste Générale
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1. Cf. Journal des Illustres Religieuses de l'Ordre de Ste Ursule, tome IV, p. 269 et sq. Le Journal est conservé aux Archives de la Communauté de Beaugency, France et a été consulté par Sœur Anne de St Augustin Lemaire, osu (1913-2003) avec les Annales de la Communauté de Beaugency, qui nous a laissé un court tapuscrit sur la dévotion mariale intitulé Pèlerinage Marial à travers les Archives de Beaugency, Beaugency 5 Décembre 1996.
2. Les annales de la communauté ont été compilées à la fin du XIXe siècle sur la base de documents relatifs aux origines du monastère, qui ont été méticuleusement compilés, parfois avec des inexactitudes.
3. Annales de la Communauté de Beaugency, tome I, p. 96, Archives de la communauté de Beaugency.
4. Une biographie manuscrite anonyme de la mère Tardif (Beaugency 1602-1675) est conservée dans les archives de la communauté de Beaugency.
5. Annales, tome I, p. 64.
6. Voir dans ce document, p. 95.
7. Ibid, p. 105 et sqq.
8. Ibid, p. 118.
9. Voir dans ce document, p. 174.
10. Cf. Annales, tome II, p. 37.
11. Voir dans ce document, p. 255.
12. Voir dans ce document, p. 258.
13. Urszula Ledóchowska, née Julia Maria (1865-1939), arrivée à Beaugency en 1896 et restée un an dans la communauté, a fondé la congrégation des Ursulines du Sacré-Cœur de Jésus Agonisant en 1907 et a été proclamée sainte par le pape Jean-Paul II en 2003.
14. Cf. Annales, tome II, p. 263.
15. Voir dans ce document, p. 268.
16. Annales, tome III, p. 10. Les couronnes sont perdues.
17. AGUUR, Fa, France Nord, Beaugency, 23, Indult 1904 janvier 25, f. n.n.
18. Cf. Annales, tome III, à la date 7 Juillet 1904.
19. Archives de la Communauté de Beaugency, Diarium Noviciat, 7 Décembre 1954.