Rétrospective. Nouvelles des archives
27/09/2023
Seconde Guerre mondiale - Des juifs cachés dans des Instituts religieux à Rome
Interview de l'ORF
En septembre 2023, le Généralat a eu le plaisir de participer à une interview pour la radio-télévision autrichienne ORF dans le cadre d'un reportage intitulé « Seconde Guerre mondiale - Des juifs cachés dans des Instituts religieux à Rome ».
Sœur Mariangela Mayer, Prieure locale de la communauté du Généralat, et Emanuela Lauro PhD, Archiviste générale des Archives du Généralat (AGUUR), ont participé à l'interview.
C'est une fierté pour l'Institut d'avoir pu témoigner du rôle important joué par la communauté du Généralat des Ursulines de l'Union Romaine, à Rome, dans l'accueil de réfugiés juifs (et autres) pendant cette période obscure de l'histoire.
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Pendant les années de guerre, des familles juives - ou des personnes - ont cherché de l'aide auprès de maisons religieuses soit par connaissance directe soit par le canal des listes de couvents remises par les évêques aux comités juifs d'aide sociale. Les maisons religieuses semblaient potentiellement sûres en raison de leur lien avec le Saint-Siège ; dès 1940, immédiatement après l'entrée en guerre de l'Italie, le nonce apostolique en Italie, Monseigneur Borgongini Duca, avait été chargé par la Secrétairerie d'État de prendre contact avec les Instituts religieux qui comptaient des membres étrangers - en provenance de pays ennemis - afin de leur donner des instructions pour protéger les personnes et les biens. Ceci a été réalisée avec la collaboration de trois Ursulines de l'Union Romaine, qui travaillaient à la Nonciature d'Italie, située non loin de la Maison Généralice, Via Nomentana, pendant toute la période de la guerre. En juin 1940 [1] , les trois Ursulines étaient Mère Marie Vianney Boschet (française), aux “Affaires de bureau”, Mère Marie François de Sales Henry (américaine), au bureau de “l'information” et Mère Maria Pierina Piccoli (italienne), assistante générale, au bureau des “Prisonniers de guerre” [2] (fig. 1). D'autres Ursulines travaillèrent également à la nonciature : Mère Marie Patrick O'Riordan d'Irlande (fig. 2) et Mère Marie Stanislaus Polotynska de Pologne (fig. 3).
Pendant ces années, le Généralat, guidé par Mère Marie de Saint Jean Martin, en exil aux Etats-Unis ; quelques assistantes et sœurs, faisant partie de la Communauté, restent à Rome. La communauté du Généralat s'est ouverte à cet accueil dès 1940, surtout pour des polonais recherchés. La vie en ville et dans les murs de la Maison Généralice fut loin d'être facile. Fin 1941, la maison fut mise sous surveillance : le 28 novembre, un homme se présenta pour effectuer des réglages sur la ligne téléphonique ; après son départ, les sœurs découvrirent une nouvelle ligne fixée le long du couloir, ce qui signifiait que la Gestapo était en mesure d'intercepter non seulement les communications téléphoniques, mais aussi d'écouter les conversations à l'intérieur de la maison.
Au fil du temps, la vie de la communauté - et de ses hôtes - est devenue de plus en plus compliquée : la nourriture était rare, le rationnement de l'électricité et du gaz rendait encore plus difficile la fourniture des repas et de tout le reste, l'eau était également rare. Le grand jardin était une bénédiction, permettant la culture de légumes, et la présence de quelques animaux de basse-cour tels que des poules, des lapins, des cochons et une vache. En raison des vols répétés, les poules, les poussins et les lapins ont été transférés au quatrième étage pour la nuit, tandis que les cochons ont trouvé refuge dans la buanderie. Une autre préoccupation était liée aux grandes fenêtres qui laissaient pénétrer la lumière de la lune et pouvaient induire en erreur : on craignait que la police ne croie que la maison ne respectait pas le couvre-feu [3]; les fenêtres ont été de fait recouvertes de papier noir.
Après l'occupation de Rome en septembre 1943, de nombreux juifs frappèrent aux portes de la Maison Généralice, mais les sœurs hésitèrent d'abord parce que l'internationalité (en particulier de M. Magdalen Bellasis (fig. 5), Prieure de la maison, anglaise et de M. Saint Henry Perret (fig. 6), assistant général, américaine) les rendait plus vulnérables et susceptibles d'être contrôlées par la police, malgré la déclaration du gouverneur de l'État de la Cité du Vatican selon laquelle l'Institut était « sous l'autorité de la Sacrée Congrégation des Religieux [...] et, en tant que tel, non [...] susceptible de perquisition ou de réquisition ». Cette hésitation a été de courte durée et les sœurs ont rapidement accueilli de nombreuses personnes. Les hôtes - qui recevaient des documents avec de faux noms - étaient divisés en deux groupes : les filles et les enfants étaient logés dans la maison en tant que collégiennes et pensionnaires; un deuxième groupe était composé de "jardiniers", de "gardiens de nuit" et de "portiers", logés dans un bâtiment situé en bordure de la Via Nomentana, appelé "Casa di Foschia" (qui n'existe plus aujourd'hui). En cas de perquisition, les filles et les femmes apparaissaient comme des religieuses, tandis que les enfants étaient conduits à l'école des Ursulines, Via Nomentana 34. [4] La propriété du Généralat était sous la protection du Vatican, mais lorsque les Allemands prirent le relais des fascistes en septembre 1943 - et que la persécution des juifs s'aggrava - les Allemands firent des rafles dans certains couvents et séminaires. Le Villino fut occupé par la Wehrmacht qui y installa ses bureaux, mais le couvent fut heureusement épargné.
5. Mère Madeleine Bellasis (AGUUR ©). | 6. Mère Saint Henri Perret (AGUUR ©). | 7. Mère Marie Xavier Marteau (AGUUR ©). |
Grâce à la liste établie par l'historien Renzo De Felice, nous savons que les Ursulines de l'Union Romaine ont hébergé environ 103 Juifs. [5] Ces derniers jours, a été dévoilée la découverte d'une documentation inédite dans les archives de l'Institut biblique pontifical, avec une liste de personnes (principalement de religion juive) qui furent, à Rome, protégées de la persécution grâce aux institutions ecclésiastiques qui leur ont offert un refuge. [6]
Les documents qui pouvaient être compromettants n’ont pas été gardés dans les archives, car il y a beaucoup de lacunes dans la documentation relative aux années de guerre. Le courage et la foi des Ursulines ont permis de conserver des documents importants dans les archives du Généralat, grâce auxquels l'histoire de ces années a pu être reconstituée. Il s'agit de deux diaires :[7]
- Le Diarium de Mère Magdalen Bellasis écrit entre juin 1940 et septembre 1944, avec quelques lacunes. [8]
- Le Diarium de Mère Marie Vianney Boschet écrit entre 1940 et 1944. Elle prenait des notes au jour le jour, qui étaient ensuite recopiées dans un grand registre. La copiste a cessé de travailler en juin 1942, mais heureusement les agendas manuscrits de 1942 à 1944 ont été conservés. [9]
Les deux carnets documentent les défis quotidiens durant la guerre : des bombardements aux raids des voleurs de jardin, de l'absence de nourriture et de fournitures aux bruits des raids, des écoutes téléphoniques aux nombreuses demandes d'abris. Dans les deux documents, on peut lire quelques noms de personnes qui ont été sauvées et cachées au Généralat ; parmi elles, les sœurs croates Lucia et Gisella Endelli, c'est-à-dire Jetta et Gisella Hendel (Gisella était l'une des plus jeunes pensionnaires, elle n'avait alors que 8 ans) [10]; et Maria Fornari, c'est-à-dire Maria Luisa Della Seta (et une douzaine de membres de sa famille). Mère Marie Xavier Marteau (fig. 7) a été honorée du titre de "Juste parmi les Nations" en 2002 [11] lors d'une cérémonie solennelle à la Maison Généralice avec la remise de la "Médaille des Justes" (fig. 8), du "Diplôme d'Honneur" (fig. 9) et le don d'un olivier des collines de Jérusalem, planté dans le jardin de la maison et accompagné d'une plaque commémorative (fig. 10).
Le titre de "Juste parmi les nations" a été créé par le parlement israélien en 1953, pour rappeler et célébrer ceux qui ont sauvé la vie d'un ou de plusieurs juifs voués aux camps de la mort, tout en risquant leur propre vie. Il s'agit de la plus haute distinction accordée à des citoyens non juifs. Sur le boulevard de Jérusalem menant à Yad Vashem, le mémorial de l'Holocauste, les noms des "Justes" sont inscrits sur le "mur d'honneur" ; un arbre est également planté pour chacun d'entre eux. Le survivant juif sensibilise à la cause, rassemble les documents et témoignages et demande la reconnaissance de ceux qui lui ont sauvé la vie.
C'est ce que Maria Luisa Della Seta a fait pour la mère Marteau. Maria Luisa et sa sœur Marcella, en particulier, sont reconnaissantes à Marie Xavier Marteau de les avoir sauvées, elles et leur famille, de l'Holocauste et d'avoir été leur ange gardien, de les avoir accueillies et soutenues à toute heure du jour et de la nuit, de leur avoir donné le courage de lutter et de continuer pour leur propre vie et celle de leur famille, pour les paroles de foi et d'espoir toujours accompagnées d'un sourire aux lèvres. Mère Marie Xavier est arrivée à Rome en 1924, appelée par Mère Marie de Saint Jean Martin, alors Assistante générale, pour être sa secrétaire, rôle qu'elle a continué à tenir même après la nomination de Mère Martin comme Prieure Générale. Elle resta à Rome pendant les années de guerre, affrontant avec foi et dévouement les dures épreuves auxquelles elle était soumise. L'honneur qui lui est fait s'étend à toutes les sœurs de la Communauté du Généralat qui, avec beaucoup de courage et de confiance, chacune selon son rôle et sa fonction, ont accueilli des juifs persécutés, leur offrant un refuge et un message de foi et d'espérance.
Par Emanuela Lauro Ph.D., Archiviste Générale
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[1] Cf. G. LOPARCO, Gli ebrei negli istituti religiosi a Roma (1943-1944) dall’arrivo alla partenza, in “Rivista della Storia della Chiesa in Italia”, vol. 58 n. 1, gennaio-giugno 2004, Vita e Pensiero – Pubblicazioni dell’Università Cattolica del Sacro Cuore, pg. 115.
[2] Cf. L. MARIANI, Orsoline dell’Unione Romana, in DIP, VI, coll. 914-917.
[3] Cf. Allocution de Mère Colette Lignon, Prieure Générale des Ursulines de l’union Romaine, pour la remise de la Médaille de Justes à Mère Marie Xavier Marteau, in “Inter Ursulines Bulletin”, édition spéciale, décembre 2002, passim.
[4] Cf. L. MARIANI, Orsoline dell’Unione Romana, in DIP, VI, coll. 914-917.
[5] Cf. R. DE FELICE, Storia degli ebrei italiani sotto il fascismo, Giulio Einaudi editore, Torino 1963.
[6] Cf. https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2023-09/shoah-publication-juifs-proteges-par-instituts-religieux-rome.html
[7] Outre ces diaires, quelques lettres et photographies relatives aux années en question sont également conservées.
[8] Cf. AGUUR, Ge 02a, Diarium Guerre, Diarium 1940-1944 écrit par M. Magdalen Bellasis.
[9] Cf. AGUUR, Ge 02a, Diarium Guerre, Diarium de guerre de M. M. Vianney Boschet 1940-1944.
[10] L'histoire touchante de Jetta a été racontée par Martha Counihan, OSU, professeur associé et archiviste/bibliothécaire des collections spéciales au Collège of New Rochelle, New York, fondé par les Ursulines, dans son livre Jetta's story, Columbia SC 2017..
[11] Pour plus d'informations sur ce sujet, voir Allocution de Mère Colette Lignon..., citée, 2002.